1- Préambule

2- Les faits

3- Les hypothèses

4- Conclusion

1- Préambule

Les 29 et 30 mars 2009 le SSF effectuait l’évacuation du corps d’un plongeur décédé à 1010 mètres de l’entrée dans la Résurgence du Ressel dans le Lot (46). (Lire l’article sur le secours).
L’analyse suivante a pour objectif d’examiner les différentes causes ayant conduit à l’accident et à attirer l’attention des plongeurs sur la nécessaire vigilance face à une évolution rapide des matériels et des pratiques de plongée.

2- Les faits

Deux plongeurs A et B s’engagent dans la résurgence du Ressel.
A & B ne se sont vu que 4 ou 5 fois et c’est la seconde fois qu’ils plongent ensemble.

2.1- Matériel

A plonge en recycleur rEvo diluant Trimix.
Il fait sa redondance avec une 20L de Trimix 10/50 et une S80 (=11,1L) de Nitrox40 laissée dans le puits à -30m.
Il se déplace avec un UV18.

B plonge en recycleur Kiss diluant air.
Il fait sa redondance avec deux S80 d’air qu’il garde sur lui.
Il se déplace avec un UV18.

B a acheté son Kiss d’occasion il y a 10 jours et a fait 2 plongées avec qui totalisent 4h de pratique.

2.2- Objectifs

A annonce qu’il se baladera jusqu’au premier kilomètre qu’il ne connaît pas encore.
B n’est pas bien précis sur ses objectifs. Comme il n’a que de l’air, A lui demande s’il compte s’arrêter à la base du puits n°4 (environ 420m de distance pour -45m de profondeur) mais n’a pas de réponse franche, et la discussion reprend sur autre chose.

2.3- Calculs d’autonomie

Hypothèses :
Respiration de 20L/mn en progression normale et 80L/mn lors de l’essoufflement.
Progression à une moyenne de: 30m/mn en propulseur et 15m/mn à la palme.
Profil : 200m à -15m, puis 100m à -20m, puis 50m à -30m, puis 50m à -40m, puis le reste à -60m.

Estimons la redondance juste nécessaire (=sans prévoir de marge de sécurité) en considérant un retour à 15m/mn et une conso de 20L/mn.
Une S80 (de A ou de B) permet de revenir de 250m de distance avec 40minutes de paliers estimé (10′ à -9m et 30′ à -6m.)

La seconde S80 de B lui permet de faire 300m de plus, soit un retour depuis 250+300=550m maxi, soit le grand virage de 90° à gauche après la dépression (HZ/40 sur la topo).

La 20L de A lui permet de revenir de 500m de plus, soit un retour depuis 250+500=750m maxi, soit le second grand virage de 90° à gauche (HZ/50 sur la topo).

En retour panique au propulseur (vitesse à 30m/mn et respiration à 80L/mn) les 2 S80 se vident en 16 minutes à -60m, ce qui permet de faire 240m.

Le propulseur : l’UV18 a 2000m d’autonomie, donc 1000m max de pénétration.

2.4- Plan de la zone profonde.

Analyse accident du Ressel - Plan zone profonde

 

2.5- Calculs de narcose

Narcose équivalente avec un diluant air à -68m (là où ils se sont rendu compte de leur égarement), et à -60m (prof moyenne de la zone profonde selon la ppO2 respirée :

PpO2 de la boucle

Profondeur de narcose équivalente si on respire de l’air

À -60m

A -68m

0,6

70

80

0,8

67,5

77,5

1

65

75

1,2

62,5

72,5

1,4

60

70

1,6

57,5

67,5

Note : habituellement un plongeur en circuit fermé maintient sa ppO2 entre 1,0 et 1,4 en progression. A cette profondeur il est donc légèrement plus narcosé que s’il plongeait à l’air en circuit ouvert.
Si le plongeur kiss ne gère pas sa ppO2 quelques temps, celle-ci va décroître doucement car il consomme plus d’O2 que le système n’en injecte. Cela se fera bien entendu au détriment de l’azote qui va augmenter (ainsi que la narcose).

2.6- Récit du témoin

Le plongeur A part dans l’idée de faire sa plongée seul car il sait que son collègue n’a pas la même autonomie en redondance, ni le même objectif que lui et qu’il fera demi tour avant pour le laisser terminer seul.

Ils partent ensemble. Arrivés à la base du P4 (point 1 sur la topo ; environ 420m de distance pour -45m de profondeur), le plongeur A se concentre sur sa plongée car dans sa planification il devait continuer seul, mais le plongeur B continue de le suivre. Le plongeur A n’a jamais eu la présence d’esprit de se demander ce qu’il faisait encore là avec lui et donc de lui proposer de faire demi tour.
Quand le plongeur A lui fait signe pour savoir si ça va, le plongeur B lui répond que tout va bien. Aussi le plongeur A se reconcentre sur sa plongée, surveille ses paramètres et ne pense pas que son collègue a un diluant air.

Arrivé au point 2 (830m sur la topo), ils remarquent le carrefour (un autre fil est noué sur la ligne principale ; une flèche indique la sortie) et s’engagent au plus évident (dans la galerie supérieure), laissant la galerie inférieure sur leur gauche.
Ils n’ont pas vu l’étiquette 1000m, et feront demi tour ensemble plus loin que prévu sur l’étiquette 1080m (point 3 sur la topo). Peu après le demi tour, ils croisent alors l’équipe de 3 Hollandais qui se dirige vers le fond.

De retour à 830m ils ne remarqueront pas le carrefour. A cet endroit de la galerie plusieurs fils sont posés et avec le scooter il est difficile de garder toujours les yeux sur le même fil que l’on suit en pointillé.
Ils s’engagent au plus évident dans la galerie inférieure, main droite, qui les ramène vers le fond de la cavité. Le plongeur A ne reconnaît pas la galerie et commence à douter. Au bout de 200m ils arrivent en haut d’un puits (point 4 sur la topo). Le plongeur A va descendre jusqu’à -68m, profondeur qu’ils n’ont jamais atteint sur le parcours aller. Le plongeur A réalise alors qu’ils se sont trompés et fait signe au collègue B de faire demi tour.

Celui-ci prit de panique part devant, le scooter à fond tout en palmant rapidement.
Le plongeur A se laisse volontairement distancer, préférant se poser au fond pour éviter l’essoufflement et laisser évacuer le stress.
A partir de ce moment là ils sont séparés et ne se reverront plus.

Une fois calmé le plongeur A suivra le fil attentivement, repèrera le carrefour de 830m (point 2 sur la topo) puis prendra la galerie de la sortie signalée par des flèches sans revoir son collègue.

2.7- Constatations

Par le groupe de Hollandais

Samedi après midi, la victime est vue sur leur retour vers 1100m dans la galerie supérieure. Elle était inerte, détendeurs hors bouche, sans masque, scooter toujours en marche et collée au plafond. Sa cagoule flottait au plafond. Ceux-ci ont essayé de lui remettre un détendeur en bouche, mais la victime ne respirait déjà plus, et en circuit ouvert ils ne pouvaient pas se permettre de passer trop de temps dans cette zone.

Par la première équipe de recherche

La victime sera localisée dimanche soir à 1010m. Elle n’était plus au plafond, mais au sol. Elle n’a effectivement aucun embout en bouche et ses deux S80 sont vides. L’embout de son recycleur n’est pas sur la position BOV, mais sur la position recycleur : celui ci est donc noyé. Impossible d’équilibrer la victime du fait que ses blocs sont vides.
Le sauveteur ramènera le propulseur et la S80 utilisée pour inflater le gilet stabilisateur pour faciliter l’évacuation du lendemain. Il laisse la S80 reliée au vêtement sec pour éviter des entrées d’eau dans le vêtement. Il fixera une balise lumineuse sur le corps ainsi qu’au carrefour de 830m afin de le sécuriser.

Par l’équipe d’évacuation profonde

Nouveau contact lundi après midi.
Ajout d’une sangle sur les anneaux de torse du harnais de la victime pour la solidariser au sauveteur afin de la déplacer plus facilement.
Une bouteille de 4 litres a été utilisée pour équilibrer le volume étanche de la victime ; une grande quantité d’air a du être injectée afin de décoller la victime du fond. Le gilet stabilisateur n’a pas été utilisé.
La victime a été déplacée jusqu’au palier de -30m dans le puits, à 400m de l’entrée.

Par la seconde équipe d’évacuation

Suite à la remontée effectuée dans le puits, la victime se trouve en flottabilité très positive et l’équipe a du purger son volume étanche afin de rétablir une flottabilité nulle. Dans l’opération elle s’est rendue compte que le direct système du gilet stabilisateur de la victime a une fuite importante au niveau du collier de serrage et l’air fuit au contact du tuyau annelé quand on le gonfle. Il est possible que le tuyau annelé se soit déboîté lors du déplacement par la première équipe.
Son recycleur est noyé, la boucle très négative traîne au sol.

3- Les hypothèses

Quand les plongeurs se sont rendus compte qu’ils ne sont pas sur le chemin du retour, la victime est déjà bien narcosée avec son diluant air. La distance réalisée en dessous de 50m : 600m aller + 200m retour + 200m mauvaise galerie = 1000m soit plus de 30 minutes exposé à une forte fN2.

Le stress s’installe pour la victime, car :

  • Il se rend compte qu’il est perdu, qu’il s’est éloigné de la sortie à son insu, et qu’il ne sait pas à quel endroit il s’est trompé.
  • Il a déjà plus de 100 minutes de palier affiché sur son ordinateur et alors qu’il croyait bientôt démarrer sa décompression il se rend compte que les paliers vont encore se cumuler,
  • Peut être prend t-il aussi conscience qu’il n’a pas sa place en ces lieux (narcose, mauvais choix du diluent, limite autonomie propulseur, limite en redondance, …)

La narcose ne lui permet pas de gérer efficacement ce stress. Il panique et part en palmant rapidement. Il est probable qu’à partir de ce moment là il ne surveille plus sa ppO2 qui va doucement chuter à cause des efforts physique qu’il fait, ce qui va amplifier sa narcose.

Très vite il va déclencher un essoufflement, ce qui va le conduire à quitter le recycleur pour passer en ouvert. Sachant que sa BOV est sur une bouteille de 3L, il passe directement sur son bloc de sécu, laissant ouvert l’embout du recycleur qui va se noyer.

Quand est survenu l’essoufflement ?
En faisant les hypothèses qu’à partir du moment où il a quitté le recycleur, ses deux S80 de bails out étaient encore à 200 bars et qu’il les a vidé en consommant 80 L/mn et en avançant à 30m/mn, on peut estimer qu’il s’est déplacé de 240m. Compte tenu du lieu où la victime a été retrouvée, et du parcours présumé qu’il a suivi (180m dans la galerie supérieure de 1010m au carrefour de 830m et 60m dans la galerie inférieure), on peut raisonnablement estimer qu’il a quitté son recycleur à 890m dans la galerie basse. Le puits où ils ont fait demi tour étant à 970m, il se sera déplacé de 80m avec le scooter, soit moins de 3 minutes avant que son essoufflement ne l’oblige à passer en ouvert.

Pourquoi s’est-il essoufflé ?
Lorsqu’il a prit conscience qu’il s’était perdu, le stress l’a conduit à une respiration rapide et les efforts de palmage ont généré plus de CO2 qu’à l’habitude. Ensuite :
– Soit du fait de la ventilation rapide, le CO2 expiré n’a plus le temps de séjourner suffisamment longtemps dans la chaux pour être éliminé et le filtre a été dépassé par les événements.
– Soit comme sur un Kiss le filtre axial a une bonne capacité, il est probable qu’il y ait eu une résistance respiratoire élevée, d’autant plus à 60 mètres avec un diluant air. Cela peut suffire à générer un dysfonctionnement respiratoire, conduisant à l’essoufflement et à une détresse respiratoire.

Pourquoi a t-il noyé son recycleur ?
Le fait qu’il n’a même pas pivoté le levier de sa BOV témoigne de l’état de stress/confusion, car c’est la manœuvre la plus simple qui soit (c’est même pour ça qu’on monte des BOV).
Par contre le fait que la BOV était sur une bouteille de 3L, il savait pertinemment qu’il n’aurait pas le temps de passer son essoufflement dessus. Il est alors possible qu’il ait préféré ne faire qu’une seule fois la manœuvre de changement d’embout, (très délicate en état de détresse respiratoire) afin de conserver du diluant sur son recycleur.
D’autre part il n’avait que très peu d’expérience sur un recycleur, et donc il n’a peut être pas eu le réflexe de fermer l’embout.

4- Conclusion

Voici l’arbre des causes pouvant expliquer cet état de faits et les enchaînements.

 

Analyse de l'accident du Ressel - Arbre des causes

Dans la colonne de droite on voit les 7 causes qui ont participées au drame.
S’il est toujours possible de gérer un ou deux paramètres défaillants, il est très délicat de gérer autant de paramètre en même temps.

La principale cause de l’accident est un diluant non adapté à la profondeur. C’est pour cette raison qu’il n’a pas pu gérer correctement les autres événements.
Son collègue qui n’était pas beaucoup mieux équipé que lui en redondance ne s’en est sorti que parce qu’il était au trimix et qu’il est resté clair.

Rappelons les règles de prudence élémentaires à respecter :

  • Connaître son matériel avant de faire des plongées engagées et l’entretenir. Se familiariser avec des nouvelles configurations sur des plongées habituelles et bien connues.
  • Planifier sa plongée avant de partir (se renseigner sur la topo et fixer ses objectifs). Ce n’est pas une fois narcosé qu’on sera en mesure de décider quand faire demi tour.
  • Prévoir un volume de gaz redondant adapté au parcours prévu afin de pouvoir gérer une panne du recycleur au point le plus éloigné,
  • Prévoir un mélange respiratoire adapté à la profondeur
  • Rester en deçà de ses limites (mentales et physiques) et ne pas hésiter à renoncer.
  • Rester calme en toute situation.

Cette analyse a été réalisée conjointement par :

  • Les Techniciens Référents en Spéléo Plongée du SSF, représentés par Olivier LANET,
  • L’Ecole Française de Plongée Spéléo, représentée par Frédéric MARTIN