Voici le cas typique d’un nœud tombé en désuétude, avant d’être réhabilité !
Heurts et malheurs d’un nœud
En spéléo, le nœud de plein poing(1), dit aussi queue de vache, a été très employé du fait de sa facilité de réalisation, jusqu’à ce qu’il passe littéralement aux oubliettes après la publication en 1981 de la deuxième édition de Techniques de la Spéléologie Alpine: les essais publiés le marginalisent, comme moins résistant que le nœud de huit. En effet, dans la configuration d’un amarrage classique en puits, il induit environ 5% d’affaiblissement supplémentaire à la corde, par rapport à son concurrent, lors des essais de traction jusqu’à rupture.
Cependant, peu à peu, et sans plus d’ailleurs d’essais préalables, le nœud de plein poing réapparaît sur bon nombre de doubles longes. Son encombrement réduit par rapport au nœud de huit, qui le rend moins sensible à l’abrasion, ainsi que sa faculté à se serrer plus facilement et plus rapidement, ont suffi à le rendre populaire, malgré ces fameux 5% : on reste en effet très loin, sur une longe en dynamique, des valeurs de rupture !
Puis ce sont les pratiquants du canyons(2), y compris les guides, et même l’ENSA, qui le réhabilitent. Dans cet usage particulier, l’on doit nouer deux cordes entre elles pour le franchissement des cascades. Le nœud sert éventuellement de butée au niveau de l’amarrage si l’on souhaite descendre sur un seul brin. Après la manœuvre, on rappelle enfin la corde depuis le bas. Lors de ces diverses opérations, le nœud utilisé travaille à l’ouverture, les deux brins qui en sortent étant tirés à 180 degrés l’un de l’autre.
On constate en canyon que malgré sa compacité, il est quand même convenable comme nœud de butée dans la grande majorité des cas. De plus, c’est le nœud qui offre le meilleur coulissage contre paroi, en raison de son aptitude à basculer latéralement sur lui-même, de manière à présenter contre le rocher sa face la plus lisse. Ceci réduit considérablement les coincements possibles sur les arêtes, ce qui est un avantage considérable lors de la récupération des rappels.
Enfin, le nœud de plein poing est commode à faire et même à défaire, car lorsqu’il travaille ainsi à l’ouverture, il ne se serre sur lui-même que modérément.
Quelques tests de traction dans cette configuration de travail à l’ouverturesont réalisés à l’ENSA en 1998, sur le diamètre 10 mm, et confirment ces constatations. Ils montrent que le nœud se retourne d’abord vers 400 daN, le brin le plus sollicité venant chevaucher l’autre, en ne libérant dans ce réarrangement que très peu de mou. Le nœud se bloque alors dans cette nouvelle configuration, ce qui supprime tout risque de dénouage de la corde par libération progressive des deux brins. Ce n’est ensuite qu’à des valeurs beaucoup plus hautes, vers 1200 daN, que la corde finit par se rompre, dans le nœud lui-même évidemment.
Les répartiteurs de charge en secours
Au SSF, nous cherchons depuis bien longtemps un nœud efficace pour la réalisation des anneaux répartiteurs de charge.
Le pécheur ou le huit tressé, qui étaient préconisés jusqu’à présent, présentent plusieurs inconvénients :
– leur positionnement exact est difficile à régler;
– ils sont malaisés à nouer avec les anneaux couramment utilisés (de diamètre 10, et en corde plutôt raide);
– ils sont difficiles à pré-tendre manuellement (par exemple dans le cas de tyroliennes ou l’on recherche une tension maximale);
– ils sont enfin si serrés après de fortes sollicitations qu’il devient laborieux de les défaire.
En se tournant vers le nœud de plein poing(3), utilisé à l’ouverturecomme les canyonistes, on résout ces difficultés:
– Il est facile à défaire, les sollicitations sur le nœud restant très modestes du fait de la répartition des efforts entre les différents brins du montage réalisé;
– Il permet un bon ajustement de la longueur du répartiteur;
– Il se serre facilement à la main, et libère très peu de mou lors du serrage ultérieur sous l’effort, ce qui optimise la tension de nos montages en tyrolienne;
– Enfin, sa résistance de 1200 daN démontrée dans ce type d’usage nous offre une marge de sécurité très suffisante. En effet, lors des nombreux essais de rupture d’ancrage réalisés par le SSF sur les répartiteurs entre 1994 et 1996, la charge maximum mesurée n’est jamais montée au delà de 575 daN sur un point de mesure. Encore faut-il préciser que le nœud ne travaille que sur l’un des deux brins sollicités, hormis évidemment le cas fautif ou le nœud, mal positionné lors de la réalisation du répartiteur, viendrait porter en butée sur l’un des amarrages.
Après trois stages SSF et un gros secours, où le nœud de plein poing a été utilisé systématiquement sur les répartiteurs de charge, aucun défaut notable n’a été constaté.
La seule précaution à respecter est un dépassement obligatoire des brins libres de 15 cm minimum, une fois le nœud serré manuellement.